Un entretien Boum! Bang!

Pourquoi ne pas emmener l’art à la rencontre des gens et des enfants? Nombreux se sont posés la question, Ingrid Brochard l’a fait. Créatrice du magazine d’art « Be Contemporary », en 2010 elle décide de faire appel à Adam Kalkin pour créer cet espace mobile, le MuMo (Musée Mobile) et lui faire sillonner la France et l’Afrique. C’est l’expérience de l’art contemporain que ce camion fait vivre aux enfants qui font leurs premiers pas dans le monde de l’art dans des containers accueillant les œuvres de Ghada Amer, Maurizio Cattelan ou encore Paul McCarthy. Rencontre avec celle qui fait rêver les petits et nous fait redécouvrir l’esprit de partage de l’art.

Le MuMo, Florian Holzherr
Le MuMo © Florian Holzherr
Le MuMo à Marseille
Le MuMo à Marseille ©
Le Mumo à Treichville, Labelfoto
Le Mumo à Treichville (Côte d’Ivoire) © Labelfoto
Le Mumo à Treichville (Côte d'Ivoire)
Le Mumo à Treichville (Côte d’Ivoire) © Labelfoto

B!B!: Comment est né le projet MuMo?

Ingrid Brochard: C’est d’abord l’aboutissement d’un cheminement personnel. Aujourd’hui, l’art tient une place importante dans ma vie. Après un parcours industriel et commercial, j’ai créé un magazine d’art, « Be Contemporary », puis réalisé des émissions de télévision sur l’art contemporain. Le déclencheur a été l’exposition que j’ai organisée en 2009, intitulée A House is not a Home. Elle avait lieu à la campagne, dans une maison où les artistes avaient été invités à réaliser des œuvres in situ, avec l’idée de les confronter à la population de proximité. C’était un espace volontairement très accessible: non pas un musée mais une maison, avec ce caractère d’intimité qui en découle. Les visiteurs pouvaient s’asseoir dans les fauteuils et découvrir les œuvres en même temps que l’architecture. Dans cette exposition, se jouait déjà une rencontre qui m’intéressait entre d’un côté l’art contemporain et de l’autre un public de non-habitués, qui n’ose pas toujours pousser la porte des musées. Soit par une appréhension de principe, soit par peur de ne pas être à la hauteur au niveau culturel, soit tout simplement en raison de leur éloignement géographique des lieux d’art. Toutes ces raisons sont regrettables, parce que lorsque que l’on brise certaines barrières et certaines inhibitions de principe, l’art intéresse souvent ces visiteurs et suscite des réflexions très justes sur les œuvres.

B!B!: Pourquoi avoir destiné ce musée aux enfants?

Ingrid Brochard: Après A house is not a home et une année sabbatique avec un voyage en Antarctique, j’ai réfléchi à la suite de mes projets. C’est alors que j’ai eu envie de travailler à destination des enfants. Leur donner la chance de voir de l’art contemporain en l’amenant à eux, même si je ne savais pas encore vraiment comment matérialiser cette envie. C’est un membre de notre fonds de dotation, Emmanuelle Brizay, qui, au cours d’une discussion en novembre 2010, m’a donné l’idée du camion. Je me suis alors souvenu d’une œuvre d’Adam Kalkin que j’avais vue à la Biennale de Venise: un container qui s’ouvrait, se déployait et se transformait en café. Un container, c’était parfait dans le cadre de mon projet: on peut le transporter sur l’eau, sur un camion… J’ai contacté Adam Kalkin qui par chance venait d’arriver à Paris. Il a tout de suite été séduit par le projet et a pu dessiner les premiers croquis. Au départ, le container devait prendre la forme d’une tour, mais c’était trop dangereux. C’est au deuxième croquis que le Musée Mobile a pris sa forme définitive. Avec la démonstration en vidéo que nous avions réalisée, je suis partie à la rencontre des artistes.

B!B!: Quelles étaient vos envies, vos ambitions en créant ce projet?

Ingrid Brochard: Aller au musée est un réflexe que l’on devrait acquérir dès le plus jeune âge. Moi-même, quand j’étais petite, je n’allais pas au musée. J’ai découvert l’art d’abord à travers Rembrandt et Boticelli, dont les œuvres, vues dans un livre, m’ont beaucoup touchées. Le potentiel d’influence et de réflexion de l’enfance m’intéresse particulièrement. Je suis issue d’une famille dans laquelle la culture n’était pas très présente. Ce n’est pas évident de s’intéresser à l’art quand on n’y a pas accès, à moins de rencontrer la bonne personne, celle qui crée du plaisir voire de l’enthousiasme face à l’art.

Installation lumineuse de James Turell, André Morin
Installation lumineuse de James Turell © André Morin
Œuvre de Ghada Amer, André Morin
Œuvre de Ghada Amer © André Morin

B!B!: Comment s’effectue le choix des œuvres? Y a t-il certaines contraintes liées au fait qu’elles se destinent à des enfants?

Ingrid Brochard: Nous voulions que les enfants aient un maximum de sensations et d’émotions, qu’ils puissent expérimenter de nouvelles choses. C’est pour cela que j’ai contacté des artistes qui ont des pratiques artistiques variées: de l’installation lumineuse de James Turrell à celle au sol de Jim Lambie sur laquelle on peut marcher, il y a aussi des vidéos… C’est important de montrer aux enfants que l’art, ce ne sont pas forcément des tableaux, que cela touche beaucoup de médiums, avec un grand éventail de sensations. Dans le camion, il y a de l’art partout, y compris sur les escaliers investis par Nari Ward. Ainsi, les enfants peuvent expérimenter tout en se sentant libres. Dans le protocole, j’ai vraiment insisté pour que les professeurs ne soient pas accompagnateurs mais qu’il y ait des médiatrices sur place, surtout dans le cadre d’un premier contact avec l’art contemporain. Nous avons choisi les artistes de manière assez instinctive et spontanée. Dans l’ensemble il s’agit d’artistes qui sont eux-mêmes sensibles aux thématiques majeures ou aux valeurs du Musée Mobile: l’itinérance, le voyage, l’enfance.

B!B!: Vous avez exposé de nombreux artistes tels que Daniel Buren ou encore Pierre Huyghe, qu’est ce qui séduit ces artistes qui collaborent avec vous?

Ingrid Brochard: Tous les artistes du Musée Mobile ont une forme de générosité à apporter. Peut-être aussi parce qu’ils sont tous reconnus et n’ont d’une certaine manière plus rien à prouver dans un contexte marchand ou muséal. Je suis persuadée qu’ils produisent des œuvres qui peuvent toucher tout le monde et face auxquelles il n’est pas forcément nécessaire d’avoir des codes. Si le Musée Mobile a vu le jour aussi vite, c’est avant tout grâce à l’engagement des artistes. Au fur et à mesure que je leur parlais du projet, ils se sont chacun approprié un espace, librement. C’est ainsi que s’est articulé le Musée Mobile, qu’il a pris forme. Je n’ai pas sélectionné les artistes pour leur rapport direct à l’enfance ni parce qu’ils faisaient un art populaire, mais parce que leurs œuvres avaient du sens dans ce projet. Pour un premier contact avec l’art contemporain, je trouve exceptionnel d’avoir de tels artistes et surtout, qu’ils aient réussi à trouver chacun leur place, malgré les contraintes d’espace et de technique qui leur étaient imposées. Finalement, je trouve que le tout est assez cohérent.

B!B!: Exposez vous des œuvres qui sont des créations spécifiques destinées aux enfants?

Ingrid Brochard: Cela dépend ce que l’on entend par spécifique. Pierre Huygue, dans une interview pour le Musée Mobile, explique cela très bien. L’idée de simplifier ne l’intéresse pas. L’enfant comprend la complexité et est même parfois le plus à-même de la comprendre. J’espère que le Musée Mobile pourra jouer un rôle important pour ces enfants, les encourager à une ouverture d’esprit. Mais aussi, je crois en leur rôle prescripteur: si cela peut permettre indirectement à leurs parents de pousser à leur tour les portes des musées, l’expérience en est d’autant plus bénéfique. Mais cela ne veut pas dire que les œuvres présentes dans le Musée Mobile ne sont faites que pour les enfants. Je souhaite leur montrer ce qu’est la création et qu’elle peut exister à travers de nombreuses formes, en-dehors d’une valeur marchande.

L'intérieur du MuMo, Florian Holzherr
L’intérieur du MuMo © Florian Holzherr
Entrée du MuMo, Florian Holzherr
Entrée du MuMo © Florian Holzherr

B!B!: Vous avez effectué récemment une tournée en Afrique, il y a de votre part une volonté de vous ouvrir vers l’étranger?

Ingrid Brochard: J’imaginais un projet sous la forme d’une sorte d’ovni qui arrive par surprise et se pose là où personne ne l’attend. Faire ce projet en Afrique, c’était un fantasme de construction et d’engagement pour moi. À part en Afrique du Sud et en Afrique du Nord, il y a peu d’expositions d’art contemporain sur le continent africain. Je trouvais intéressant de confronter cette création-là à un public nouveau. Le projet s’inscrit dans un principe de dialogue et de diversité, il est uniquement basé sur l’émotionnel et entend proposer une expérience universelle. Je crois en un accès absolu à l’art. Tout le monde peut ressentir des émotions, aussi différentes soient-elles, face aux mêmes œuvres.

B!B!: Pensez vous que l’art tente de se défaire de son image élitiste et de se démocratiser avec votre projet mais aussi avec d’autres tels que le Centre Pompidou mobile?

Ingrid Brochard: L’art est un formidable outil d’échange et de partage. Les émotions qu’il procure ne devraient pas être exclusivement réservées à un public initié. Un français sur deux n’a jamais été au musée, 40% des parents n’y emmène pas leurs enfants. L’avantage de la mobilité est d’aller directement à la rencontre des publics, ce qui permet de briser les barrières de l’éloignement géographique, des a priori élitistes ou d’éventuels complexes d’infériorité. La question de la médiation est également très importante. Au départ, j’avais pensé laisser les enfants entrer dans le container sans aucune prise en charge, ni accompagnement. Mais je craignais qu’ils passent à côté de certaines choses ou qu’ils ne prennent pas le temps. Dans le dispositif MuMo, les médiateurs sont la uniquement pour accompagner les enfants, les laisser s’exprimer librement, et surtout les écouter.

La Sagesse du savoir de Cheri Samba
La Sagesse du savoir de Cheri Samba © Labelfoto
Le rhinoceros de Huang Yong Ping
Le rhinoceros de Huang Yong Ping © Labelfoto
Maurizio Cattelan, Immagine, 2011
© Maurizio Cattelan, Immagine, 2011