Igor Mitoraj est un sculpteur polonais à la renommée mondiale. Né en 1944 à Oederan, en Allemagne, il effectue tout d’abord ses études à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie, en Pologne, où il est l’élève de Tadeusz Kantor, grand artiste, sculpteur et homme de théâtre polonais. C’est qu’il tirera sans doute de cette proximité avec le théâtre sa fascination pour les mythes antiques et pour les visages en ruines, qui rappellent les masques des persona dramatiques, mais aussi son intérêt pour les peuplades du bout du monde et d’un autre temps, tel Artaud ou Nietzsche pour le théâtre. Après un bref séjour en France et en Italie, il part au début des années 1970, à l’âge de 27 ans, au Mexique, où il commence à sculpter et à se passionner pour l’art précolombien. De retour en Europe en 1974, il réalise sa première exposition à Paris, à la Galerie La Hune, en 1976. Trois ans plus tard, il se rend cette fois en Italie, en Toscane. À Carrare, lieu du célèbre marbre à la blancheur et à la pureté si prisées dans l’Antiquité, Igor Mitoraj ouvre une nouvelle étape de sa réflexion, renouant alors avec les racines de la statuaire de l’Antiquité romaine. En 1983, il va jusqu’à installer son atelier à une trentaine de kilomètres de Carrare, à Pietrasanta, ville de Toscane qui, comme son nom l’indique – littéralement « pierre sainte » en italien – est consacrée depuis l’Antiquité à la sculpture et aux tailleurs de pierre.

Igor Mitoraj, sculpture, installation© Igor Mitoraj.Igor Mitoraj, sculpture, installation© Igor Mitoraj.Igor Mitoraj, sculpture, installation© Igor Mitoraj.Igor Mitoraj, Centurion I 1997, sculpture, installation © Igor Mitoraj, Centurion I (1997).
Igor Mitoraj, Dedalo, 1997, sculpture, installation© Igor Mitoraj, Dedalo (1997).

C’est que le nouveau langage artistique qu’il élabore emprunte directement à la statuaire antique, latine mais aussi grecque. De là, des statues monumentales en marbre – tout droit extrait des carrières historiques de Carrare – représentant bustes d’hommes, visages, corps entiers ou fragmentés, dans un double mouvement de néoclassicisme et de retour à l’antique d’une part, et de destruction et ruine du modèle de l’autre, par une fragmentation et un éclatement des corps radicalement postmodernes. Les hommes et femmes représentés renvoient, eux aussi, à l’Antiquité et aux grands mythes : Dédale, Éros, Icare, Œdipe… Igor Mitoraj propose ainsi, dans la lignée du théâtre de la seconde moitié du XXème siècle (Giraudoux, Kane, etc.) ou de certains « nouveaux romans » (d’ailleurs d’inspiration théâtrale pour certains, tel Les Gommes de Robbe-Grillet dont l’exergue initiale présente la réécriture d’un vers de l’Oedipe de Sophocle), une relecture de la société contemporaine à l’aune des mythes antiques – en retour confrontés violemment au monde moderne. Comme l’écrit Claudio Malberti, « dans les sculptures complètes (en général des têtes), on admire la grâce virile du modelé (qui n’est pas une contradiction) et surtout les patines insolites et chargées d’une sensualité modérée mais palpitante. Dans les sculptures tronquées ou déchirées, au contraire, prévaut une dimension dramatique et dynamique. Ces déchirures dans les torses et dans les têtes, sont comme de grandes blessures béantes, qui sont là pour témoigner toute la fragilité et toute la précarité de l’existence humaine » (dans Igor Mitoraj,Milan, Art-Objet, 1986). Igor Mitoraj représente ainsi des corps de héros ou de dieux grecs mythiques en ruines, en chute libre ou fragmentaires, à l’état de vestiges archéologiques. La sculpture procède ainsi d’une esthétique de la ruine et du vestige archéologique pour mieux proposer, par ces corps et mythes fissurés et anachroniques, par ce détour à l’antique, un nouveau regard sur le monde contemporain. Enfin, outre la dimension archéologique et la ruine néoclassique, il faut souligner d’une part la finesse de la sensibilité et de l’expressivité de ses corps sculptés, entre érotisme et violence, et d’autre part un important travail d’inclusion et de mise en abîme qui vient miner de l’intérieur le réalisme de la représentation : de nombreux portraits et visages réduits viennent s’incorporer aux corps monumentaux sculptés, dans les cuisses ou la poitrine, derrière un morceau d’épaule ou un fragment de visage. Igor Mitoraj propose ainsi non seulement une relecture des mythes anciens – où les dieux peuvent naître de la cuisse même de Jupiter – mais crée aussi le vestige et le vertige de corps imbriqués les uns sur les autres, travail allégorique et symbolique participant de ce nouveau regard. Des statues monumentales, souvent situées dans l’espace public de la ville, et donc dans un espace politique, renouant en cela avec les origines de l’art. Ceci montre la volonté de l’artiste de faire interagir le public avec des oeuvres qui peuvent constituer en elle-même un espace de déambulation ou s’inscrivant au sein d’un espace de déambulation quotidien – du parvis de la Défense à Paris, au coeur des villes japonaises ou du sud de la France, jusqu’aux sites historiques méditerranéens.

Igor Mitoraj, Tindaro, 1997, sculpture, installation© Igor Mitoraj, Tindaro (1997).
Igor Mitoraj au Jardin des Tuileries, Paris, 2004, sculpture, installation© Igor Mitoraj (au Jardin des Tuileries, Paris, 2004).
Igor Mitoraj au Jardin des Tuileries, Paris, 2004, sculpture, installation© Igor Mitoraj (au Jardin des Tuileries, Paris, 2004).
Igor Mitoraj (au Jardin des Tuileries, Paris, 2004, sculpture, installation© Igor Mitoraj (au Jardin des Tuileries, Paris, 2004).
Igor Mitoraj à Agrigente, Sicile, 2011, sculpture, installation© Igor Mitoraj (à Agrigente, Sicile, 2011).
 Igor Mitoraj à Agrigente, Sicile, 2011, sculpture, installation© Igor Mitoraj (à Agrigente, Sicile, 2011).
Igor Mitoraj (à Agrigente, Sicile, 2011) sculpture, installation© Igor Mitoraj (à Agrigente, Sicile, 2011).
Igor Mitoraj sur le parvis de la Défense, Paris, sculpture, installation© Igor Mitoraj (sur le parvis de la Défense, Paris).
Igor Mitoraj à Agrigente, Sicile, 2011, sculpture, installation © Igor Mitoraj (à Agrigente, Sicile, 2011).

Igor Mitoraj est devenu, durant ces dernières années, l’un des sculpteurs contemporains les plus reconnus et les plus célèbres – notamment en France, où il travaille depuis de nombreuses années. Il a ainsi exposé aux Etats-Unis, au Japon, en Italie et donc en France (au Jardin des Tuileries à Paris en 2004 ; à Aix-en-Provence en 2010, où 18 sculptures monumentales se trouvaient réparties dans tout le centre-ville ; mais aussi sur le parvis de la Défense avec, depuis 1997, une tête monumentale intitulée Tindaro devant la tour KPMG puis, depuis 2000, trois nouvelles sculptures : Ikaria devant la tour Adria, Ikaro devant la tour Ernst & Young et Centurion devant la tour Fiat). Certaines de ses œuvres ont aussi été mises en espace dans des lieux historiques et archéologiques prestigieux, instaurant un dialogue spécifique avec l’art sculptural et architectural de l’Antiquité, tel en 2011 dans la Vallée des Temples à Agrigente, en Sicile.