David Nebreda photographe espagnol né en 1952, a passé la majeure partie de sa vie enfermé et coupé du reste du monde. Malgré des études d’arts il se définit comme autodidacte. Il est diagnostiqué schizophrène paranoïaque très jeune et connaîtra de nombreux internements psychiatriques dès l’âge de 20 ans. Sa démarche artistique est une réflexion sur sa vie avec la maladie, ce qui l’a conduit à des périodes de mutisme, d’enfermement et de proximité avec la mort. Le médium photographique est utilisé ici comme moyen pour se figurer en un «Autre», c’est-à-dire l’incarnation de la folie à travers des autoportraits. Toutes ces images questionnent la représentation, l’expérience et l’image de soi.

Par sa vie personnelle peu banale, David Nebreda est atypique. Son physique de Jésus-Christ anorexique est dû à un régime végétarien, ne mangeant que huit ou neuf aliments invariables crus ou juste cuits à l’eau. L’homme est aussi myope, il refuse de se soigner, ne porte ni lunettes, ni lentilles. Regarder dans le flou le rassure et ce qu’il voit ne l’intéresse pas. Seul le viseur de son appareil photographique est à sa vue. Tous les miroirs de sa maison sont recouverts de papier, son image il ne la connaît qu’à travers ses autoportraits. L’artiste se tient aussi à une liste d’interdits personnels tels que le silence, des années de réclusion, l’abstinence sexuelle, aucun livre, aucune télévision et aucun ordinateur. Il refuse de se ranger dans une quelconque catégorie professionnelle, les photographies étant seulement pour lui des exercices de réflexion. Il conteste également toute assimilation à l’histoire de l’art et à la culture occidentale comme référence.

« Je ne lis pas, je ne regarde pas la télévision, je n’écoute pas de musique, je n’ai pas d’ordinateur, pas de connexion à Internet. Je passe la plus grande partie de mon temps sur mon lit ».

David Nebreda David Nebreda ©
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David Nebreda photographie son corps sans cesse exhibé dans la souffrance et l’humiliation: décharné, squelettique, tailladé, sanguinolent ou encore recouvert d’excréments. Des clichés qui présentent l’abject dans un mélange d’horreur et de sublime que l’on retrouve dans trois ouvrages photographies: « Autoportraits » (2000), « Chapitre sur les petites amputations » (2004) et « Sur la révélation » (2006). Œuvres littéraires qui se présentent comme des compilations d’images mais également de textes, atteignant parfois un degré de dureté insupportable mais qui peuvent également se définir comme un travail conceptuel plus complexe.

Au départ toutes ses images il les avait cachées dans des boîtes, car l’idée d’exposer n’était pas du tout prévue. Cependant son travail fut exposé pour la première fois en France à Paris en 1998 à la Galerie Xippas dans le cadre du Mois de la Photo à Paris: « L’enfermement photographique ». Une vision avec le monde qui le marqua : « mon contact avec l’extérieur a détruit mon sens de l’ordre et a suscité des mots, inconnus pour moi jusqu’alors, tels que honte, douleur ou dégoût. Je voudrais insister: je découvre seulement maintenant la signification de mots comme dégoût, honte ou haine ».

David Nebreda David Nebreda ©
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Avec David Nebreda, on assiste à une expérience d’une violence extrême où il fait de sa vie une œuvre d’art, un moment extraordinaire et particulier à l’utilisation du médium photographique. Le rapport qu’entretient David Nebreda avec son corps et son image est un dispositif intriguant et complexe. L’artiste s’appréhende comme étranger ou inexistant, il a besoin de son appareil photographique pour parvenir « à se voir sans se voir ». David Nebreda déclare : « le seul point de référence que j’ai pour ma propre image est ce qui continue d’être donnée à moi par le double photographique ».

Les conditions techniques requises par l’artiste et la place qu’occupe la pratique de la photographie pour David Nebreda est très importante. Souligner uniquement l’aspect trash de l’art et considérer son travail artistique comme un simple fouillis schizophrénique serait réducteur, cela revient à ne retenir que les images les plus choquantes d’une création pourtant très diversifiée. David Nebreda le dit dans ses rares interviews, il ne souhaite ni choquer, ni provoquer, et ne revendique aucun masochisme. Malgré l’aspect rebutant de certaines de ses photographies, elles ont un sens. Dans sa démarche et sa folie David Nebreda est sincère et honnête, ce qui trouble le public.

David Nebreda David Nebreda ©
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Le corps de David Nebreda est soumis à une longue et lente destruction pour parvenir à l’existence d’un « corps photographique », d’un « double photographique ». Son travail présente la construction d’une identité à partir de la destruction du corps pour parvenir à une renaissance. Les photographies de David Nebreda ne sont pas des mises en scènes a proprement parlé mais seulement des enregistrements au moment ou il cherche à reconstruire son « Autre », celui qui ne souffre pas puisqu’il n’existe que sur le papier où la douleur est automatiquement évacuée. Sa création: une turbulente critique au sein des discours normatifs du corps, de la représentation et de l’esthétique, pour affirmer son identité et son existence en tant qu’Homme. L’identité ne peut être construite ici qu’à partir de la destruction du corps, dans une renaissance autrement.