Décédé à l’âge de trente-huit ans en 1988 après une bien courte carrière, Bruce Wrighton avait comme terrain de jeu visuel favori son voisinage de Binghampton, petite ville dans l’état de New York. Après des études d’Arts Plastiques à l’Université de Rochester, il réalise des commandes commerciales lui permettant de gagner sa vie tout en poursuivant un travail de recherche artistique et plastique en parallèle.
Ses œuvres célèbrent les portraits de passants placides, d’automobiles antiques ou d’intérieurs désuets. C’est que ce photographe indépendant aime à présenter ses sujets évoluant dans une réalité laide et bien palpable où l’esthétique semble profondément enfouie. Le corpus de son travail artistique est constitué de trois séries : Streets portraits, Dinosaurs and Dreamboats et St-Georges and the Dragon. La première, représentation photographique de la classe sociale ouvrière de Binghampton, se fait symbole d’art de captation, comme si Bruce Wrighton réussissait à saisir les émotions des sujets aussi bien que leurs corps. Les veilles dames, prolétaires ou couples de tout âges apparaissent humbles, maladroits, timides et moroses. L’artiste tend ainsi à donner une image négative sur papier glacé d’un « L’American way of life » heureux et prolifique, devenu mythe et commérages, fixant ses marginaux, oubliés d’une société sévère. La deuxième série, Dinosaurs and Dreamboats, plonge dans l’enfance masculine d’une part, par la représentation hautement cinématographique des stéréotypes de carrosseries américaines des années 50, et dans l’image glorieuse d’une Amérique optimiste de l’autre, par la présentation d’intérieur cossus et colorés bien que teintés de maccarthysme. La troisième série, St-Georges and the Dragon, explore la puissance des symboles et icônes que l’artiste trouve aux détours de ses vagabondages. Il cherche ainsi à transcender la banalité du quotidien en rendant emblématiques ces scènes insolites et curiosités involontaires.
Woolworth employee, 1987 © estate of Bruce Wrighton. Courtesy Laurence Miller Gallery, New York
Woman in pink, 1987, carnivl, Johnson City, NY, tirage C print, 20 x 25 CM, vintage © Bruce Wrighton/Courtesy Les Douches La Galerie
Woman with « Love » tee and tattoo, 1987, Binghampton, NY, tirage C print 20 x 25 cm, vintage © Bruce Wrighton/Courtesy Les Douches La Galerie
Downtown man #3, 1987, Binghampton, NY, tirage C print 20 x 25 cm, vintage © Bruce Wrighton/Courtesy Les Douches La Galerie
Man with studded bracelet, 1987, carnivl, Johnson City, NY, tirage C print, 20 x 25 CM, vintage © Bruce Wrighton/Courtesy Les Douches La Galerie
Security guard (female), 1987, Binghampton, NY, tirage C print 20 x 25 cm, vintage © Bruce Wrighton/Courtesy Les Douches La Galerie
Bruce Wrighton prône ici l’amour de la laideur et des clichés de conformités. Même si l’on note une prédominance des couleurs chatoyantes dans ses œuvres, à l’instar de Diane Arbus ou de Robert Frank, l’artiste parle un langage teinté de subjectivité aux allures de documentaire. Il se nourrit d’une réalité artistique insaisissable se faufilant, hasardeuse, sous ses yeux, pour créer, en la mémorisant, un style direct et contraire aux indétrônables canons de beauté normatifs. Ses photographies semblent être faites pour illustrer les œuvres des écrivains de la Beat Génération mettant en scène l’aliénation et la chute du grand rêve américain et affirmant que « contre la ruine du monde, il n’y a qu’une défense : l’Art et la Création ».
