Après trois premiers opus riches en « Boums » et en « Bangs », plus besoin de vous faire un dessin pour vous faire comprendre qu’il y a de l’explosion dans l’art et de l’art dans l’explosion. Dernière piste à explorer, dernier sujet à partager avec vous: l’objet et l’explosion. Alors, n’oubliez pas votre casque avant d’entrer dans le deuxième paragraphe de cet article, il risque d’y avoir du grabuge et des gravats.

Remontons loin, très loin, avec cette première œuvre signée par le peintre hollandais Cornelis Claesz van Wieringen né en 1580 et spécialisé, fils de capitaine oblige, dans les marines. Contrairement à ses toiles calmes en mers agitées, cette reconstitution de la bataille de Gibraltar est l’occasion d’aller un cran plus loin en tentant de restituer l’effet destructeur et meurtrier d’une explosion projetant en l’air des moussaillons de façon très mélodramatique.

Cornelis Claesz van Wieringen, The explosion of the spanish
Cornelis Claesz van Wieringen, The explosion of the spanish flagship during the battle of Gibraltar, 25 April 1607, 1621, oil on canvas, 137,5 x 188 cm © Cornelis Claesz van Wieringen

Plus réaliste, cette photographie de l’explosion du dirigeable le plus grand jamais construit : le Zeppelin LZ 129 Hindenburg. Après quatorze mois de bons et loyaux services, celui-ci fut détruit par un incendie le 6 mai 1937 alors qu’il s’approchait de sa destination. Attendu par une foule « en délire » et la presse, celui-ci a alors été filmé et photographié en feu et sous toutes ses coutures (ici, un cliché du photographe Sam Shere né à Minsk en 1904). Les images de cette catastrophe ont ensuite fait le tour du monde et sont devenues de véritables icônes de la culture populaire. Normal qu’elles aient été détournées par d’autres artistes comme ici, Brock Davis.

Sam Shere, Crash of the Hindenburg
Sam Shere, Crash of the Hindenburg, 1937 © Sam Shere – Keystone
Brock Davis, Cauliflower Hindenburg
Brock Davis, Cauliflower Hindenburg, 1937 – 2009 © Brock Davis

Autres objets volants courant à leur perte, les avions de guerre de l’artiste pop américain Roy Lichtenstein. Son diptyque « Whaam ! » réalisé en1963 fût inspiré par un comics de la série « All-American Men of War ». L’artiste se l’est approprié et en a accentué les contrastes chromatiques pour rendre l’explosion encore plus spectaculaire. Une explosion en plein vol qu’il était intéressant de vous présenter en vis-à-vis avec les montages photographiques très contemporains de Pierric Favret qui dans sa série « Catastrophe, ou crépuscule des idoles » nous montre des avions bombardant de grands musées. Une référence évidente aux films de guerre ou aux films catastrophes mais également aux évènements du 11 septembre. Une référence qui peut également nous transporter vers un futur sombre ou tout simplement être la métaphore de la colère d’un jeune artiste face à la difficulté à entrer dans les collections des grandes institutions de l’art.

Roy Lichstenstein, Whaam!
Roy Lichstenstein, Whaam!, 1963, magna on canvas, 172,7 x 421 cm – Collection Tate Gallery, london, purchase 1966 © Roy Lichstenstein
Extrait du comics, The Star Jockey
Extrait du comics « The Star Jockey – All American Men of War », 1962, page 21 – Script de Robert Kanigher – Illustrations de Irv Novick
Pierric Favret, Catastrophes, ou crépuscule des idoles
Pierric Favret, Catastrophes, ou crépuscule des idoles (Guggenheim), 2008, photographie, tirage lambda, diasec contrecollé sur dibond, 30 x 40 cm © Pierric Favret
Pierric Favret, Catastrophes, ou crépuscule des idoles
Pierric Favret, Catastrophes, ou crépuscule des idoles (Tokyo Hotel), 2009, photographie, tirage lambda, diasec contrecollé sur dibond, 30 x 74 cm © Pierric Favret

Restons dans les airs avec le peintre américain Ben Grasso pour qui l’explosion semble être un véritable sujet de prédilection. Qu’il s’agisse de maisons ou de véhicules, qu’on assiste à un accident ou au passage de ce qui pourrait être une tornade, ses sujets sont soufflés par une explosion ou s’envolent en se disloquant. Ils créent ainsi sur terre ou dans le ciel des sortes de structures abstraites assez fascinantes, prises sur le vif, entre le départ de la catastrophe et son résultat: des ruines. Un moment t qui semble également avoir été étudié par d’autres artistes comme Min Jeong Seo et Baptiste Debombourg. Le premier a en effet créé une gigantesque installation offrant l’impression à ses visiteurs d’évoluer dans une explosion que l’on aurait mis en « arrêt sur image ». Le deuxième, avec son installation baptisée « Turbo » nous donne le sentiment d’avoir eu envie de réaliser la même chose en figeant à un moment t l’explosion d’un mur, avant que celui-ci ne se fissure puis éclate en morceaux.

Ben Grasso, Untitled
Ben Grasso, Untitled (House), 2006, oil on canvas, 50 x 70 inches © Ben Grasso
Ben Grasso, American Oblique
Ben Grasso, American Oblique, 2008, oil on canvas, 50 x 72 inches © Ben Grasso
Min Jeong Seo, Summer im Augenblick
Min Jeong Seo, Summer im Augenblick, 2010, installation, expanded polystyrene, steel cable, nylon cord, 15 x 4 x 5 m © Min Jeong Seo
Baptiste Debombourg, Turbo
Baptiste Debombourg, Turbo, installation en bois aggloméré mélaminé blanc, dimensions variables © Baptiste Debombourg

Passons maintenant à une toute autre catégorie d’artistes photographes que l’on pourrait qualifier de savants fous de l’explosion. Parmi cette grande famille d’allumés, les anglais James Huse et Edward Horsford capturant l’explosion de ballons remplis de lait ou de liquide coloré et créant ainsi des paysages et des planètes jamais vus. Autres membres, le duo suisse Joschi Herczeg et Daniele Kaehr immortalisant des explosions d’objets de notre quotidien grâce à de savantes installations comportant des détonateurs et des appareils photographiques synchronisés. Dans tous les cas, le challenge est ici de capturer par tous les moyens la fraction de seconde pendant laquelle tout se passe. Dans ce même esprit de conquête de l’explosion, citons le photographe Alan Sailer et ses centaines de clichés d’objets « shootés » en plein « shoot ». Sucreries, bibelots, jouets, décorations de Noël, tout y passe et trépasse sous l’objectif de cet artiste qui voit certainement en chaque nouvel objet qu’il dégote le point de départ d’une nouvelle expérience. Plus sages mais tout aussi explosives, les œuvres du photographe allemand Martin Klimas. Lui aussi s’intéresse de près aux objets en pleine explosion mais sans forcément utiliser d’explosifs. Ainsi, ses parfaits petits bouquets sont photographiés au moment où une balle transperce les vases qui les contiennent, créant ainsi une image « bipolaire » où un chaos spectaculaire s’oppose à un calme olympien. Ses photographies de figurines n’ont, quant à elles,  pas besoin d’explosifs. L’artiste les fait simplement tomber et c’est de leur chute et des effets que celle-ci provoque que naît ce mouvement magique animant ces personnages pourtant incapables de bouger. Incontournable dans cette catégorie également, Ori Gersht, artiste israélien, ayant revisité à plusieurs reprises le genre de la nature morte avec notamment de spectaculaires photos de bouquets explosant ainsi que cette vidéo « Pomegranate », hommage évident au genre et que l’artiste pervertit en faisant exploser l’un de ses composants. Des explosions prises sur le vif que l’on retrouve dans le travail du designer Ingo Maueur avec ses lustres constitués de fragments d’objets ou le créateur de mode Michael Kampe qui nous permet avec ses créations vestimentaires poétiques d’évoquer l’explosion vue à travers le prisme de la métaphore.

James Huse, An abrupt end
James Huse, extrait de la série « An abrupt end » © James Huse
Edward Horsford, Collapsed
Edward Horsford, Collapsed, extrait de la série Explored © Edward Horsford
Joschi Herczeg et Daniele Kaehr, Explosion
© Joschi Herczeg et Daniele Kaehr, photographie extraite de la série « Explosion »
Alan Sailer, My little Zombie, High Speed
Alan Sailer, My little Zombie, extrait de la série High Speed © Alan Sailer
Alan Sailer, I was walking through the park one day
Alan Sailer, I was walking through the park one day, 2009, extrait de la série High Speed © Alan Sailer
Martin Klimas, Porcelain Figurines
Martin Klimas, extrait de la série « Porcelain Figurines » © Martin Klimas
Martin Klimas, Flowervases
Martin Klimas, extrait de la série « Flowervases » © Martin Klimas
Ori Gersht, Blow Up #1
Ori Gersht, Blow Up #1, 2007, c-print mounted to acrulic, 98 x 74,5 inches © Ori Gersht
Ingo Mauer, Suspensions Porca Miseria!
Ingo Mauer, Suspensions Porca Miseria!, 1994 © Ingo Mauer
Michael Kampe, extraits de la collection « Exploded View »
Michael Kampe, extraits de la collection « Exploded View » © Michael Kampe

En effet, s’il est question d’une recherche esthétique chez Lola Dupré qui grâce à des collages, crée des portraits « éclatés » d’une grande beauté, il est plutôt question chez certains artistes non plus d’objets mais bien d’êtres humains dont la tête explose. Pourquoi ? Sûrement parce qu’elle est trop pleine (Keith Haring) ou parce que derrière les apparences se cachent notre vraie nature qui ne demande qu’à rejaillir. Un concept étudié par l’artiste anglais James Roper qui dans sa série « Rapture » fait littéralement exploser la tête de ses modèles, des actrices de films pornographiques aux corps de tentatrices, qu’il « déshabille » pour permettre à une énergie pure, abstraite et presque divine d’exploser.

Lola Dupre, Exploded Al Capone
Lola Dupre, Exploded Al Capone, 8,2 x 11,6 inches © Lola Dupre
Keith Haring, Untitled (Exploding Head)
Keith Haring, Untitled (Exploding Head), 1983 © Keith Haring
James Roper, The Ecstasy of Nikki Benz
James Roper, The Ecstasy of Nikki Benz, 2009, mixed media on paper, 29,5 x 42 cm, extrait de la serie « Rapture » © James Roper

Du corps humain, il est aussi question chez le photographe Cass Bird dont la campagne de publicité « We are Animals » pour Wrangler est faite de cascades spectaculaires dans lesquelles des mannequins se retrouvent projetés dans les airs avec grâce. Des positions corporelles contre nature que l’on retrouve également dans le répertoire du photographe d’Alex Prager dont l’une des héroïnes semble à la fois se jeter dans un brasier et s’envoler soufflée par une explosion. Pour d’autres artistes et créateurs, l’homme n’est pas victime et ne périra pas par les flammes, au contraire. Ainsi, alors que le designer Christopher Kane fait de l’explosion le motif de l’une de ses collections, le photographe Nick Knight imagine pour Dior un peuple de femmes « brutes » prenant un malin plaisir à tout faire péter sur leur passage et le peintre Jeremy Geddes invente un boulet de canon humain capable de pulvériser les façades d’un immeuble.

Cass Bird, We are animals
Cass Bird, extrait de la campagne de publicité « We are animals » réalisée par l’agence Fred et Farid pour la marque Wrangler © Cass Bird
Cass Bird, We are animals
Cass Bird, extrait de la campagne de publicité « We are animals » réalisée par l’agence Fred et Farid pour la marque Wrangler © Cass Bird
Alex Prager, Bunker Hill end Eye
Alex Prager, 10.58 am, Bunker Hill end Eye #7 (suicide) 2012 © Alex Prager, courtesy M+B Gallery
Christopher Kane, Resort collection
Christopher Kane, Resort collection 2010 © Christopher Kane
Nick Knight, Christian Dior
Nick Knight, extrait de la campagne de publicité « Christian Dior – Fall/Winter 2001-02 » © Nick Knight and NK image Ltd
Jeremy Geddes, Pale Memory
Jeremy Geddes, Pale Memory, 33 x 43,82 cm © Jeremy Geddes and Jonathan Levine Gallery

Plus étonnant encore, l’explosion sert également de « révélateur » ou de matière première à certains artistes pour créer leurs œuvres. C’est le cas du chinois Cai Guo-Qiang, auteur de célèbres performances pyrotechniques commandées informatiquement et qui réalise certaines de ses toiles à partir de poudre à canon dont il a minutieusement étudié les propriétés. Disposée sur des bandes de papier à l’horizontal, puis enflammée, elle laisse sur la toile un motif unique fait de fumée et de brûlures, véritable signature pour cet artiste.

Cai Guo-Qiang, Transient Rainbow
Cai Guo-Qiang, photographie réalisée par Hiro Ihara de la performance « Transient Rainbow », 2002 © Cai Guo-Qiang
Cai Guo-Qiang, The sunshine and solitude installation
Cai Guo-Qiang, création de l’installation « The sunshine and solitude installation », photographie de Diego Berruecos © Cai Guo-Qiang
Cai Guo-Qiang, The sunshine and solitude installation
Cai Guo-Qiang, vue de l’installation « The sunshine and solitude installation », photographie de Diego Berruecos © Cai Guo-Qiang

Pour terminer, cette œuvre inclassable, peut-être l’une des plus mystérieuses traitant de ce sujet, « Milk 1984 » du photographe canadien Jeff Wall. Extrêmement spontanée à première vue, cette photographie a portant été soigneusement composée par le maître, pour que tous ses éléments s’opposent, se complètent et créent le décor idéal pour mettre en scène cet homme au regard hagard  pressant entre sa main un pack de lait emballé dans du papier. Peut-être une façon pour l’artiste d’illustrer le tourment et la violence intérieure qui semble habiter son protagoniste.

Jeff Wall, Milk
Jeff Wall, Milk 1984, transparency in lightbox, 1870 x 2290 cm. Collection FRAC Champagne-Ardenne, Reims © Jeff Wall

Remerciements à Chrystel Jung, Johan Tchang-Minh, Zé Luis Sousa pour leurs trouvailles et pour fêter dignement les derniers mots de cette série de quatre articles sur le « Boum » et la « Bang » dans l’art, cette œuvre d’Eugenio Merino à consommer sans modération.

Eugenio Merino, Celebrating Destruction
Eugenio Merino, Celebrating Destruction, 2011, Ruinart bottle, car paint, urethane, 98 x 28 x 36 cm © Eugenio Merino