Un entretien Boum! Bang!

Maeve Berry s’introduit dans l’ouverture de l’incinérateur afin de nous présenter la lente combustion des corps qui émettent leurs derniers rayonnements. La photographe d’origine irlandaise qui vit et travaille au Royaume-Uni fut acclamée internationalement et récemment exposée aux Rencontres d’Arles en 2012 pour sa série « Incandescence ». Elle nous entraîne dans une exploration profonde, personnelle et poétique sur la disparition et la dissolution du corps. Des portraits abstraits présentés comme un art de la commémoration empreint de respect et de discrétion, à travers des clichés esthétiquement agréables. Une démarche artistique qui permet au spectateur de s’attarder et de réfléchir sur la mort.

B!B!: Maeve peux-tu te présenter et expliquer aux lecteurs de Boum! Bang! ton parcours?

Maeve: Je suis une photographe freelance irlandaise qui travaille sur des projets autogérés. Actuellement basée à Brighton au Royaume-Uni, j’ai obtenu un Bachelor en Photographie à l’Université de Westminster en 2008. Ma série « Incandescence » fut représentée par la Galerie Diemar/Noble de Londres dès 2009, jusqu’à sa fermeture en août 2012. J’ai réalisé une exposition solo réussie à la galerie de juillet à septembre 2009. Elle s’intitulait « Exhibition of the Week » dans le Time Out Magazine de Londres et « Where to Buy » dans The Week Magazine. Après le succès de cette exposition, j’ai eu le privilège d’être invitée à participer à la « Darkside II » au Fotomuseum Winterthur en Suisse, aux côtés de certains des plus grands photographes du monde.

B!B!: Quels artistes t’influencent?

Maeve: J’admire et je suis influencée par de très nombreux artistes. Mais j’aime tout particulièrement le travail de Cindy Sherman, Josef Koudelka, Andres Serrano et Richard Avedon.

B!B!: Comment la série « Incandescence » est-elle née?

Maeve: Durant mon Bachelor en Photographie, pour mon avant-dernière année je devais prendre une décision concernant un projet qui serait exposé dans une galerie. J’ai alors découvert que j’avais recueilli inconsciemment de nombreuses informations et recherches concernant l’image de la mort, ma décision s’est donc portée tout naturellement dans la réalisation d’un projet sur la mort.

Maeve Berry, série « Incandescence »© Maeve Berry, série « Incandescence »
Maeve Berry, série « Incandescence »© Maeve Berry, série « Incandescence »
Maeve Berry, série « Incandescence »© Maeve Berry, série « Incandescence »
Maeve Berry, série « Incandescence »© Maeve Berry, série « Incandescence »

B!B!: Peux-tu nous expliquer la réalisation d’un tel projet?

Maeve: Mes premières démarches pour le projet étaient de faire des visites dans les entreprises de pompes funèbres dans le but d’explorer les différentes possibilités de capturer les images de la mort pour l’exposer dans une galerie. Grâce au gérant des pompes funèbres j’ai eu l’opportunité de visiter un crématorium et c’est ici que je me suis sentie le plus inspirée. Mon unique expérience sur la crémation s’est faite, comme la plupart des gens, en tant que proche d’un défunt, et le fait d’être dans les coulisses a été pour moi une révélation. Je n’avais aucune idée à quoi m’attendre. Tout au long de ma vie, en accord avec la coutume irlandaise des cercueils ouverts, j’ai vu de nombreux cadavres. Je voulais observer une scène que je ne serais jamais en mesure de voir, les os mis à nu, était un spectacle fascinant, convaincant et également très beau. Après ma visite au crématorium j’étais convaincue que je voulais aller de l’avant et vers une démarche artistique plutôt que documentaire.

B!B!: Quel message veux-tu transmettre avec ta série « Incandescence »?

Maeve: Je suis consciente du caractère sensible de mon sujet et je n’ai pas pour but de choquer ou d’être sensationnelle. Je crois que les portraits de morts devraient avoir leur place parmi le mélange éclectique de portraits dans les galeries. Mais j’accepte également que les gens puissent avoir des difficultés à faire face à quelque chose dont ils n’ont aucune expérience, par conséquent, toutes les images publiques de la mort doivent être respectueuses des sentiments des spectateurs. La mort est inévitable, mais souvent évitée. Je voulais combler ce vide qui existe dans les galeries d’art moderne en ce qui concerne la représentation de la mort. Ma recherche initiale était basée sur l’hypothèse que dans la société moderne, nous sommes habitués à voir des images de toutes sortes de la naissance à la mort, mais s’arrêtant à la tombe. Une grande importance est placée aux images qui concernent les grandes étapes de la vie. Et tous ces événements sont généralement un moment où la famille se réunit. Un enterrement est aussi un moment où la famille se réunit, mais est traité très différemment  dans son enregistrement photographique. Pour ma part, j’ai aussi l’intention de faire « passer le mot » sur les crématoriums et leur politique « open-house ».

B!B!: Pourquoi le cadavre de cette manière?

Maeve: Je suis absolument consciente du fait que l’image de la mort est exposée bien souvent de manière sensationnelle avec la plupart du temps des morts violentes et non pas des morts naturelles. Ainsi pour la plupart des gens, l’idée de photographier un cadavre est abjecte. Je voulais une occasion d’apporter des images de la mort et du cadavre sans offenser ou perturber le spectateur. Je savais que la création d’une image abstraite permettrait d’attirer le spectateur dans l’intrigue et la curiosité. Les images ont un côté mystérieux, liées aussi avec le mystère qui entoure la mort elle-même. En plus d’être une preuve de la condition humaine, les images sont esthétiques et le contexte galerie, permet au spectateur de s’attarder et de réfléchir sans se sentir mal à l’aise et juger pour ressentir une sorte de fascination morbide: l’art le permet.

Maeve Berry, série « Incandescence »© Maeve Berry, série « Incandescence »
Maeve Berry, série « Incandescence »© Maeve Berry, série « Incandescence »
Maeve Berry, série « Incandescence »© Maeve Berry, série « Incandescence »
Maeve Berry, série « Incandescence »© Maeve Berry, série « Incandescence »

B!B!: Quelle est ta relation avec la mort? 

Maeve: Par mon héritage irlandais, j’ai toujours pensé que je voudrais un enterrement traditionnel. Après avoir terminé cette série, je me suis dis que le corps incinéré était une véritable acceptation de notre finalité, il n’y a pas de faux semblants et pas de doutes sur le fait que le corps ne sera plus jamais sensible, et je pense que la crémation sera pour moi une fin digne. Ayant travaillé en étroite collaboration avec le crématorium je n’ai aucun doute ou inquiétude au sujet du bon déroulement, je sais que je serai traitée avec dignité et respect.

B!B!: As-tu eu besoin de la permission des familles pour photographier les corps et quelles étaient leurs réactions?

Maeve: Mes contacts étaient uniquement avec l’équipe qui s’occupait de la gestion du crématorium et non pas directement avec les familles, donc je ne suis pas bien informée sur les réactions des familles.

B!B!: Comment les spectateurs réagissent face à tes photographies?

Maeve: J’ai découvert que les gens étaient naturellement curieux de découvrir ce qui se passe quand ils meurent, mais très peu ont eu l’occasion de voir dans les coulisses d’un crématorium, et beaucoup sont effrayés par la question. Quand mes amis et collègues ont vu que je passais beaucoup de temps dans un crématorium ils étaient curieux mais de manière amusée afin de cacher leur embarras. Une fois au-dessus de cet embarras, ils veulent véritablement des réponses à leurs questions. Ils ont besoin d’informations et d’être rassurés, j’étais heureuse de dissiper de nombreux mythes urbains. Mais les réactions du public sont très positives. La plupart des spectateurs se sentent plus à l’aise à propos de la mort. J’ai eu beaucoup de mails de personnes qui me confient que mes images les ont confortées et consolées. Tous mes clichés ont suscités un débat et également encouragées la pensée,  j’espère alors aider à démystifier la mort pour certains spectateurs.

B!B!: Que penses-tu du travail d’artistes qui utilisent le corps de manière beaucoup plus directe contrairement à ta série « Incandescence »?

Maeve: Pour moi le travail d’un artiste tel qu’Andres Serrano est très important. Je suis d’accord avec lui sur le fait que les artistes doivent rendre certaines choses publiques, choses qui ne sauraient être vues autrement.

Maeve Berry, série « Incandescence »© Maeve Berry, série « Incandescence »
Maeve Berry, série « Incandescence »© Maeve Berry, série « Incandescence »
Maeve Berry, série « Incandescence »© Maeve Berry, série « Incandescence »
Maeve Berry, série « Incandescence »© Maeve Berry, série « Incandescence »

B!B!: Est-ce que tu souhaites faire un autre projet en relation avec la mort et les cadavres?

Maeve: J’y ai pensé, mais les projets que j’avais à l’esprit se sont avérés très difficiles à réaliser, mais je pense y revenir à une date ultérieure.

B!B!: Quels autres projets te tiennent particulièrement à cœur?

Maeve: Mon projet « b. to d. » qui est en cours est très précieux à mes yeux. J’ai photographié les mains de ma mère dans son cercueil, elle m’en avait donné la permission avant sa mort, ainsi que les mains du bébé mourant d’un ami.

B!B!: Peux-tu nous en dire un peu plus sur l’exhibition à Arles en France en 2012?

Maeve: La série « Incandescence » faisait partie de l’exposition Salon Ouvert à la Galerie Huit. J’ai aimé visiter la ville d’Arles et j’ai été ravie d’être là pour la semaine d’ouverture. Le vernissage à la Galerie Huit était vibrant et animé avec des gens très intéressants. Les conservateurs et les organisateurs, Vanja Karas et Julia de Bierre, étaient aussi très accueillants.

B!B!: Un projet en cours?

Maeve: Je fais actuellement des recherches pour un projet sur l’identité culturelle et la perte.

Maeve Berry, série « Incandescence »© Maeve Berry, série « Incandescence »
Maeve Berry, série « Incandescence »© Maeve Berry, série « Incandescence »

B!B!: Les chroniqueurs de Boum! Bang! ont pour habitude de terminer leurs interviews par une sélection de questions issues du questionnaire de Proust. En voici quelques-unes librement adaptées:

B!B!: Un photographe préféré?

Maeve: J’admire particulièrement Cindy Sherman, Josef Koudelka, Andres Serrano et Richard Avedon. J’ai également été très impressionné par le travail de Lucas Foglia à Arles.

B!B!: Un peintre?

Maeve: Encore une fois, beaucoup mais Vilhelm Hammershoi et Van Gogh me fascinent.

B!B!: Comment souhaites-tu mourir?

Maeve: Sans douleur.

B!B!: Une partie du corps?

Maeve : Mes yeux sont la partie la plus importante de mon corps.

B!B!: Le pouvoir que tu souhaites avoir?

Maeve: L’invisibilité.

B!B!: Ta chanson du moment?

Maeve: J’ai un peu de nostalgie en ce moment en écoutant Neil Young et David Bowie. J’aime la musique de The Killers et Jack White également.

B!B!: Un artiste que tu aurais aimé rencontrer de son vivant?

Maeve: Van Gogh (musicalement John Lennon ou Elvis Presley).

B!B!: Un autre travail que tu aimerais faire?

Maeve: Tout ce qui me permettrait de voyager dans le monde.

B!B!: Les qualités que tu admires le plus?

Maeve: L’honnêteté et l’objectivité.

B!B!: Ton idée du bonheur?

Maeve : Ne pas avoir à réfléchir sur les questions d’argent et de paperasse, un bon repas et passer du temps avec des amis.

B!B!: Ton idée de la misère?

Maeve: L’isolation, physique ou mentale.

B!B!: Un poète?

Maeve: Leonard Cohen, bien que surtout connu pour sa musique, il est, pour moi, un grand poète.

B!B!: Et si je te dis « Boum! Bang! », à quoi penses-tu?

Maeve: Etrangement, le nom me rappelle l’entrée britannique à l’Eurovision par la chanteuse Lulu avec « Boom Bang A Bang » en 1969.