Né à Brooklyn en 1940, Arthur Tress a fait ses armes photographiques à l’école de la rue: il commence avec la tristesse des banlieues au petit matin, la valse des papiers gras et des feuilles mortes avant l’afflux des passants, mais surtout avec l’ambiance surréaliste et cauchemardesque du parc d’attraction Luna Park de Coney Island à New York. Adolescent, il débute donc la photo en saisissant les grimaces figées des clowns en plastique, les allures d’instruments de torture que se donnent les nacelles des montagnes russes ou du train fantôme avant l’arrivée des enfants. Tout est là. Même s’il diversifie ensuite ses pratiques, l’étrangeté qui a germé dans ses images sur les planches de Coney Island sera toujours présente en filigrane. Lui-même dira d’ailleurs s’adonner au « réalisme magique » en photographie.

Arthur Tress Arthur Tress ©
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Puis les modèles et les lieux changent. Ses voyages en Afrique et en Asie développent son intérêt pour l’ethnographie; ses images dénoncent alors le déclin des cultures populaires face au melting pot américain. Les paysages urbains de New York soulignent l’empreinte irréversible laissée par la mégapole sur son environnement. Arthur Tress s’engage petit à petit, se fait défenseur d’une certaine idée de l’Amérique où les particularismes ne doivent rien céder; il se fait aussi défenseur de la cause homosexuelle et des droits civiques dans les années 1960. En 1964, lors d’un séjour chez sa sœur à San Francisco, il livre une véritable chronique photographique de la ville qui, cet été-là, accueille à la fois la 28ème convention républicaine et le lancement de la première tournée des Beatles aux États-Unis. Vaste programme. La rue donc, une nouvelle fois. À travers elle, il ne cherche pas à documenter les événements de manière systématique: pas de portraits de politiques, d’images de réunions ou de concerts. Au contraire, ses photographies s’imprègnent de la chaleur écrasante des rues, de l’allégresse et de la tension qui y règnent, de ceux qui sont à la fête et de ceux qui restent dans l’ombre; bref de tout ce qui gravite autour des événements eux-mêmes.

Arthur Tress Arthur Tress ©
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Mais tout au long des années 1960 et au début des années 1970, le réalisme magique est toujours à l’œuvre dans les images d’Arthur Tress. Dès qu’il s’empare d’un sujet, il y pénètre par le biais des rêves et des fantasmes: pour lui, l’allégorie, l’archétype, la mise en scène parfois, se révèlent plus efficaces à décrire une réalité que le document pur, même s’il ne rejette pas complètement cette option. Dans Theater of the Mind, il met en scène les rêves et fantasmes d’enfants ou d’adultes, d’une manière qu’il veut jungienne. Il se prête lui-même au jeu dans Dream Collector: grâce à un travail sur les ombres, il questionne à la fois sa sensibilité et son rôle de photographe. Enfin, dans Tress Facing Up, il met en scène ses propres fantasmes homosexuels. Mais s’il réalise bien des séries, l’œuvre d’Arthur Tress fait preuve d’une étonnante harmonie qui traverse les époques et les sujets, et semble obéir à une logique autre que celle de la chronologie ou du groupement.

Arthur TressArthur Tress ©
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À partir de 1980, il s’offre une escapade vers la couleur pour photographier les installations d’un hôpital abandonné sur Welfare Island au large de New York. Peignant lui-même les anciens lits à étriers et appareils de rééducations avec des couleurs vives, il y récrée un Luna Park autrement plus angoissant. Puis, dans les années 2000, c’est le retour au noir et blanc pour photographier les skate-parks californiens à la manière d’un relevé topographique. La composition prend alors le pas sur l’allégorie, mais les images ne sont jamais ce qu’elles semblent être au premier abord, le fantastique n’est jamais loin. Chez Arthur Tress, chacun fait de ces lieux publics désertés le théâtre d’une mise en scène impudique  et personnelle qui n’appartient qu’à soi. Et le fil rouge de cette œuvre pourtant multiple est toujours contenu là, dans ces espaces à la fois familiers et inquiétants, dans ces instants où l’entertainment américain révèle une inquiétante étrangeté qui en dit long sur une société et sur la sensibilité de celui qui la regarde.

Arthur Tress Arthur Tress ©
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