L’on imagine André Lichtenberg nous présentant les panoramas dépeuplés de sa série « Vertigo » un sourire aux lèvres. Il scrute notre visage, guette le trouble dans notre regard. Dans les photographies désolées de sa série, quelque chose cloche, comme un retard, une inadéquation qui nous invite à nous demander si, derrière l’objectif de l’appareil, il existe encore un photographe.

Dans le monde déserté que l’artiste contemple depuis les hauteurs des gratte-ciels, comment l’œil caché derrière l’appareil pourrait-il encore être celui d’un être humain? Le regard froid dresse un constat implacable: malgré la présence de voitures minuscules, de silhouettes humaines auxquelles l’on n’arrive pas à croire, c’est le silence que l’on contemple, un silence si vieux que la nostalgie même en est bannie. Les perspectives tranchantes ouvrent sur des constructions mutiques, aux formes aussi glaciales qu’indifférentes. Sans l’homme, l’espace et le temps se dérobent: le sol lointain se dresse comme un mur sur un parterre de buildings et d’immeubles de verre et d’acier; dans la série « Licht » des traînées de lumière témoignent avec retard d’une présence déjà évanouie. Même la lumière, au sein de la série « Dream », est irréelle. L’humain absent, c’est toute la réalité qui vacille, sous l’œil impassible, fixe, d’un appareil photo devenu monstrueux parce qu’il a survécu aux hommes.

André Lichtenberg, Neon Blue
André Lichtenberg, Neon Blue, série Vertigo, Courtesy Flaere Gallery ©
André Lichtenberg,  Red buses
André Lichtenberg,  Red buses, série Vertigo, Courtesy Flaere Gallery ©
André Lichtenberg, Red dot
André Lichtenberg, Red dot, série Vertigo, Courtesy Flaere Gallery ©
André Lichtenberg, Station entrance
André Lichtenberg, Station entrance, série Vertigo, Courtesy Flaere Gallery ©
André Lichtenberg, Sunday shoppers
André Lichtenberg, Sunday shoppers, série Vertigo, Courtesy Flaere Gallery ©
André Lichtenberg, Bench
André Lichtenberg, Bench, série Dream, Courtesy Flaere Gallery ©
André Lichtenberg, Untiled
André Lichtenberg, Untiled, série Dream, Courtesy Flaere Gallery ©
André Lichtenberg, The other angle
André Lichtenberg, The other angle, série Dream, Courtesy Flaere Gallery ©

Les traînées de lumière de la série « Licht » nous invitent cependant à y regarder de plus près. Dans la trace de présences tout juste évanouies, la mélancolie des choses disparues affleure, et contraste avec la froideur des photos d’André Lichtenberg: on pourrait presque saisir un peu de cette chaleur qui hante encore l’air comme une persistance rétinienne. Dès lors, on imagine que le gouffre nihiliste qu’ouvrait l’œil mécanique n’est pas irrévocable: en réintroduisant la mélancolie, et par là l’œil humain, André Lichtenberg témoigne, en creux, de la vie et des traces qu’elle a laissé. Au lieu de nous renvoyer au silence, les immeubles nous disent le bruit qui l’a précédé. Son travail, comme sa série « New », se lit en négatif: la mélancolie laisse enfin place à une joie quasi-métaphysique, celle qui voudrait que malgré la nature et l’environnement muets, malgré le temps qui passe, malgré la mort, l’homme aura existé, aura consumé son énergie en bâtissant. Dans un ultime parasitage du temps, les photographies se lisent au passé antérieur. Nous observons un monde qui nous a survécus et, avec le photographe, voyons après nous. Les photographies se font métaphore de l’Art. Derrière l’œil objectif de la machine qui témoigne, réapparaît l’œil humain, créateur, celui qui imagine le monde après lui et qui crée pour se survivre. Le travail d’André Lichtenberg se veut alors le témoignage d’une vitalité ultime, irrévocable: celle de la création.

André Lichtenberg, Stairs
André Lichtenberg, Stairs, série Licht, Courtesy Flaere Gallery ©
André Lichtenberg, Through
André Lichtenberg, Through, série Licht, Courtesy Flaere Gallery ©
André Lichtenberg, Two hills
André Lichtenberg, Two hills, série Licht, Courtesy Flaere Gallery ©
André Lichtenberg, Two huts
André Lichtenberg, Two huts, série Licht, Courtesy Flaere Gallery ©
André Lichtenberg, Finalle
André Lichtenberg, Finalle, série Licht, Courtesy Flaere Gallery ©
André Lichtenberg, Long walk
André Lichtenberg, Long walk, série Licht, Courtesy Flaere Gallery ©
André Lichtenberg, Bridge Rush
André Lichtenberg, Bridge Rush, série New, Courtesy Flaere Gallery ©
André Lichtenberg, Lioyds Bank
André Lichtenberg, Lioyds Bank, série New, Courtesy Flaere Gallery ©
André Lichtenberg, Station Rush hour
André Lichtenberg, Station Rush hour, série New, Courtesy Flaere Gallery ©