On aperçoit parfois chez soi sur un coin de mur, un tout petit reflet flou du ciel où l’on distingue le passage de quelques nuages. Ce phénomène plus ou moins rare est une sorte de caustique* dans une pièce sombre. Un unique trou dans les volets fermés un jour de beau temps laisse passer quelques rayons qui projettent dans la pièce une bribe d’image inversée. Abelardo Morell, artiste américain d’origine cubaine né en 1948, s’est servi de ces principes à une échelle toute autre.

La pièce d’un appartement est plongée dans le noir, toutes les fenêtres sont occultées, un minuscule trou est percé à un endroit donnant sur l’extérieur; nous sommes à l’intérieur d’une camera obscura, et cette perforation en est l’objectif. Un appareil photo argentique placé dans la pièce est enclenché, le temps de pose est long.  Il s’agit de capter une quantité de lumière très faible. Ce trou à peine plus gros que celui d’une serrure éclaire la pièce d’une façon imperceptible. La photo ainsi obtenue rend compte de la projection invisible d’un espace extérieur sur toutes les faces intérieures d’un volume. Les agencements techniques proposés par l’artiste relèvent d’une mise en abîme: le principe répète le dispositif photographique à deux échelles.

Bien que la photo en elle-même ne soit qu’une copie affaiblie de cette expérience, nous sommes tout à fait en mesure d’en relever les caractéristiques majeures et de trouver une émotion dans ces rapports d’échelle, dans ce volume de l’espace mis en scène. Car cette photo n’est pas l’œuvre à proprement parler, elle est le compte-rendu photographique d’une performance invisible, d’un moment qui n’est plus.

Cela parle d’un objet infime et omniprésent, cette lumière, qui suggère un conflit entre la réalité perçue et son reflet secret et immatériel. Le caractère « magique » de la camera obscura à été souligné un très grand nombre de fois, et sa révélation fantasmatique agit comme un objet fictionnel. Ce que l’on capte, c’est l’image de ce qui disparaît sans cesse. Une docile fatalité, une mélancolie latente lumineuse, et l’on se met à désirer cette lumière…


* Une caustique désigne en optique et en mathématiques l’enveloppe des rayons lumineux subissant une réflexion ou une réfraction sur une surface ou une courbe.

Abelardo Morell
© Abelardo Morell
Abelardo Morell
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Abelardo Morell
© Abelardo Morell
Abelardo Morell
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Abelardo Morell
© Abelardo Morell
Abelardo Morell
© Abelardo Morell
Abelardo Morell
© Abelardo Morell
Abelardo Morell
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Abelardo Morell
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Abelardo Morell
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Abelardo Morell
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Abelardo Morell
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